Nous entamons une nouvelle catégorie d'articles intitulée "Visite de jardin" avec la présentation du jardin d'une adhérente qui explore la culture des plantes chinoise.
Bonjour Cécile, peux-tu te présenter ?
Bonjour, je suis Cécile Lévy. Je vis entre Marseille, où j’exerce mon activité principale de praticienne de MTC (médecine traditionnelle chinoise), et le Gard, où j’ai commencé une activité agricole secondaire en 2022. Il s’agit d’une petite culture de Plantes Aromatiques et Médicinales sous le nom de LYVE-PLANTES , dans un terrain agricole, sous la forme d’un jardin (rendez-vous sur mon site pour plus d’informations).
Ce « Jardin Lyve-Plantes« , c’est en quelque sorte un retour à mes premiers amours : la nature et le vivant, puisque je suis de formation initiale ingénieur agronome (1992). Puis je me suis tournée vers l’Humain en étudiant la nutrition humaine (DEA, 1992), et en faisant de la recherche sur la perception sensorielle des aliments (doctorat, 1998). Rapidement, j’ai quitté le monde de l’industrie agro-alimentaire qui ne me convenait pas pour me diriger vers l’étude de la Médecine Traditionnelle Chinoise ou MTC (École Shao Yang, 2008-2014, puis post-formations 2014-2020).
Ce qui m’a d’abord étonnée, et vraiment plu dans cette médecine ancestrale, c’est l’importance des qualités sensorielles des aliments / plantes dans la compréhension de leur mécanisme d’action sur l’humain: elles sont à la base de la diététique et de la pharmacopée chinoise .
Récemment, pour mettre en place ce jardin, j’ai suivi un module de formation en Culture et Production de Plantes Aromatiques et Médicinales (CFPPA de Nyons, 2021), et je me suis inscrite au « Parcours paysan » de l’ADEAR (un dispositif de formations) dans lequel je suis encore, et qui m’aide beaucoup.
Peux-tu présenter ton jardin ?
Mon jardin se situe sur un terrain dans le Gard, au nord de Nîmes. Je suis partie d’un terrain agricole en friche, d’environ 800m². Au début, il faut imaginer ce que cela peut devenir….

J’ai d’abord beaucoup lu /écouté sur les techniques d’agriculture écologique / durable / paysanne : rien à voir avec la formation en agronomie que j’avais eu dans les années 1990 😉 ; alors je suis partie sur l’idée d’un « jardin-forêt », puis d’un jardin inspiré de l’agro-foresterie en me disant « on verra ce que ça donnera au fur et à mesure, concrètement ».
J’ai malgré tout été obligée d’installer des cuves de récupération d’eau de pluie, et un système goutte à goutte. Car dans cette région, sans irrigation l’été, beaucoup de plantes végètent, ou meurent. Le système des oyas que j’ai mis en place au début, c’est bien pour certaines plantes, mais pour d’autres cela ne suffit pas. J’ai également installé des pergolas ou des ombrières pour le cœur de l’été car le soleil est parfois si fort que cela brûle les feuilles !


Les grandes lignes du jardin se dessinent progressivement; c’est un jardin expérimental qui se cherche encore.
Comment es-tu arrivée à la culture des plantes médicinales chinoises ?
Tout simplement parce que je pratique la MTC et connais les fondements de la pharmacopée chinoise. Comme beaucoup d’entre nous, je me suis posée la question de l’approvisionnement des plantes depuis la Chine, pour des raisons écologiques et économiques. Que ferons nous le jour où nous ne pourrons plus faire venir ces plantes de Chine? Est ce que ces plantes pourraient pousser chez nous? Seraient elles aussi efficaces? Elles ont semble-t-il des vertus spécifiques selon le terroir et le climat de leur région de production. Par ailleurs, est ce que les plantes médicinales traditionnellement utilisées en phytothérapie occidentale ne pourraient elles pas faire l’affaire? Une parole populaire suggère que ce qui pousse autour de là où on vit est bénéfique pour nous.
Toutes ces questions ont amené un sujet d’intérêt : comment croiser la phytothérapie de la MTC et la phytothérapie occidentale ; il s’agit d’un pan de recherche intéressant… C’est pour cela que j’ai eu envie d’adhérer à l’Association Réseau PAM-MTC.
Aujourd’hui, finalement, je cultive pour mes récoltes des plantes locales comestibles, à infuser ou condimentaires. Et des plantes spécifiques de la pharmacopée chinoise plutôt dans une approche expérimentale, avec l’idée de mettre en place, si possible, un petit conservatoire de celles qui se plairont dans ce jardin.
Comment as-tu commencé à planter concrètement ?
Tous d’abord j’ai préparé le sol dans une approche écologique, manuelle, de type agriculture paysanne : grelinette, rouleau « faca » manuel, paille, compost… J’ai encore à apprendre côté techniques culturales !


pour apporter de l’eau aux plantes l’été
Dans un premier temps, j’ai surtout cherché à planter des arbres et arbustes pour faire de l’ombre et réduire le vent (le Mistral est parfois très fort), structurer le jardin qui était à l’état de friche au départ. J’ai vite compris qu’il faudrait de la patience pour que les petits arbres grandissent !
D’une façon générale, je favorise les plantes vivaces aux plantes annuelles: je cherche à faire au plus simple pour des aspects pratiques et financiers (je ne suis pas toujours sur place / activité secondaire).
J’ai choisi mes plantes en croisant mes connaissances de la pharmacopée chinoise avec ce qui était disponible auprès des pépinières écologiques dans la région (pépinière de Quissac, pépinière La Belle Verte), et d’autres pépinières plus spécialisées pour les plantes chinoises (pépinière des Carlines). J’ai également trouvé d’autres espèces dans des foires aux plantes.
– étaient-elles difficile à trouver ?
Cela dépend, certaines oui, d’autres non, et il y en a certaines que je n’ai toujours pas trouvées (ex : l’aubépine utilisée en MTC : l’Aubépine chinoise SHAN ZHA 山楂 – Crataegus pinnatifida Bunge, le Magnolia officinal HOU PO 厚朴 – Magnolia officinalis Rehder & E.H.Wilson, la pivoine SHAO YAO 芍药 – Paeonia lactiflora Pallas)
– Comment les as-tu choisies ?
J’ai choisi les plantes en fonction de plusieurs critères :
- pour celles que je voulais récolter, transformer et commercialiser, comme plantes à infuser ou aromatiques, j’ai choisi des plantes comestibles, ou faisant partie des « 148 plantes médicinales autorisées » par le décret de 2008 , (+ travaux parlementaires sur le sujet en 2018) ; et des plantes qui étaient à priori adaptées à mon terrain et au climat local – il y a parmi elles un certain nombre de plantes méditerranéennes ;
- pour les plantes plus spécifiques de la pharmacopée chinoise : j’ai choisi en fonction de leur adaptation possible à mon terrain et au climat, en suivant les conseils du fournisseur.
Comment savais-tu comment les planter ?
Je me suis renseignée autant que possible sur les techniques agricoles pour cultiver ces plantes, mais j’ai finalement beaucoup appris sur le terrain. J’ai rapidement compris qu’on ne peut pas toujours savoir à l’avance ce qui va pousser ou pas en fonction de son terrain et des années – on a souvent des surprises, bonnes ou mauvaises. Il ne faut pas se décourager si cela ne fonctionne pas toujours, ce n’est parfois pas de notre ressort.
Combien (et lesquelles) de plantes médicinales chinoises as-tu en culture aujourd’hui ?
Au total, j’ai plus d’une cinquantaine de variétés différentes dans ce jardin.
Une partie sont des plantes endémiques, qui poussent spontanément (aubépine, églantier, mélisse, prêle, aigremoine, coquelicot, mauve sylvestre etc) ;
Une autre partie, environ la moitié , sont des plantes du jardin que j’ai plantées et spécifiques de la MTC; d’origine asiatique, elles ont souvent été amenées par les jésuites, et se sont adaptées à notre région méditerranéenne. Je pense par exemple au jujubier, au poivrier de Sichuan, au chèvrefeuille japonais, à l’albizia, à la réglisse, au néflier du japon, aux agrumes (j’ai trouvé des variétés japonaises qui résistent au gel à -30°C), le Forsythia (mais il faut vraiment aller dans une pépinière spécialisée pour avoir des forsythias aux fleurs fertiles) ;
Il y a aussi des plantes méditerranéennes condimentaires.


DAN SHEN 丹参 – Salvia miltiorrhiza Bunge




SANG 桑 – Morus alba Linneaus

GOU QI 枸杞 – Lycium barbarum L.
JU HUA 菊花 – Chrysanthemum × morifolium Ramatuelle

YI YI REN 薏苡仁 – Coix lacryma-jobi L. var. mayuen (Roman.) Stap.
Rappelons enfin qu’il y a des plantes communes à la phytothérapie occidentale et à la pharmacopée chinoise : la menthe, la verveine officinale, l’aigremoine, la prunelle …


HE HUAN 合欢 – Albizzia julibrissin Durazz
Comment utilises-tu ton jardin et comment ces plantes s’insèrent elle dedans ?
Ce jardin n’est pas complètement un jardin de « production », c’est aussi un jardin fait pour être beau ! C’est un jardin expérimental qui se prépare pour être visité comme un petit jardin botanique : grande diversité, petites quantités. On s’y balade en suivant un parcours avec des étiquettes pour reconnaître les plantes.




Petit à petit, certaines plantes commencent à prendre plus de place, ce sont celles qui sont bien adaptées (menthe, mélisse, chèvrefeuille…)
As-tu déjà récolté des plantes médicinales de ton jardin ?
Oui, j’ai fait déjà des récoltes, mais très peu au départ ; les quantités récoltées augmentent doucement. La production agricole, ce n’est déjà pas facile, mais le séchage et la transformation c’est aussi tout un aspect de travail qu’on n’imagine pas forcément au départ !

REN DONG 忍冬 (YIN HUA 银花) – Lonicera japonica Thunberg


J’utilise un séchoir solaire fait-maison lorsque le temps n’est pas trop humide ; si le temps est humide, je sèche à l’intérieur, autour d’un poêle à bois. Ensuite, il faut trier, effeuiller… Cela demande beaucoup de patience. Ce travail n’est pas rentable si on compte vraiment les heures passées.




Mais ensuite, on passe à la phase qui m’amuse : composer des mélanges pour infusions, en partant de leurs vertus connues en phytothérapie chinoise et/ou occidentale, et de leurs qualités sensorielles. Le challenge est le suivant : donner à l’infusion un ressenti de « texture » pour éviter d’avoir l’impression de boire de l’eau chaude… ce pas si facile de trouver les bons dosages et combinaisons afin d’utiliser toutes les plantes récoltées !

Mélange pour infusion à base de pétales de coquelicots, et de menthes.
Cette année, j’ai composé 3 grandes lignes d’infusions de plantes comestibles aromatiques :
- une à base d’un mélange de 3 menthes (menthe marocaine, poivrée japonaise, menthe bergamote) agrémentée de fleurs (« clarifier la chaleur ») ;
- une autre à base de fenouils (fenouil sauvage et fenouil pourpre), plantes dites « carminative » , auxquels sont ajoutées d’autres plantes qui, en phytothérapie, facilitent la digestion ;
- une à base de feuilles de mélisse, connue en phytothérapie pour calmer la nervosité (en plus d’aider à la digestion), avec d’autres plantes en s’inspirant de la MTC…



Je distribue mes mélanges sur commandes, selon les disponibilités du moment.
Comment imagine-tu l’évolution de ton jardin ?
J’aimerais organiser bientôt des visites pédagogiques pour partager ce que j’ai appris ; peut- être également augmenter ma production, mais comme il y a un effet d’échelle, cela veut dire construire un autre séchoir, investir dans plus d’infrastructure et de fournitures, etc. Chaque chose en son temps… Dans tous les cas, pour l’instant, c’est une belle aventure, et un vaste terrain d’expérience et de recherche.
Quels conseils donnais tu aux personnes qui souhaiteraient commencer un jardin similaire ?
Patience, patience, et patience… Il ne faut pas être pressé ! Pour se permettre de mettre en place une telle activité, il faut pouvoir se dégager du temps et conserver d’autres sources de revenus au départ. La culture de plantes médicinales à petite échelle est une activité peu rentable / peu valorisée , même si le prix de vente au kilo peux sembler important !.
Mais c’est une activité qui permet de se ressourcer, parce qu’on est dans l’observation de la nature, en lien avec les plantes, et que l’on fait une pause un peu hors du temps quand on est dans son jardin.
Je crois que chacun fera son jardin comme cela lui fera du bien 😉 !